I LES DIEUX

Alors que les quatre saisons de Vivaldi virevoltaient en sourdine, Madeline se mit à rêver aux trois Dieux.

Le Dieu de la Terre, vêtu d’une tunique pourpre, montait des coursiers nerveux qui l’emmenaient dans des chevauchées impétueuses. Il commandait le feu, les animaux, du tigre royal au chacal du désert. Sa main jetait la graine dans le sillon, son souffle mûrissait fruits, légumes et céréales. Il vidait, sur les campagnes, sa corne d'abondance afin que les récoltes fussent abondantes. Des couleurs de sa palette, il colorait les fleurs, l'herbe des prairies, la passion de l'été, les feuilles de l'automne, les bougies de Noël et le scintillement de la neige. L'écho sylvestre renvoyait ses chants. Sa garde personnelle était formée par une troupe de chiens et de loups emmenés par Isengrin, un loup géant.

Le Dieu des Airs était drapé d’azur. Il allumait la lune qui clignait de l'œil à l'enfant, l'étoile qui guidait le pèlerin, le soleil qui terrassait les ténèbres et dissipait les angoisses, la voie lactée, les arcs-en-ciel. Il soufflait de douces brises cautériser la plaie des cœurs saignants, des vents brûlants enflammer les corps ou, dans son courroux, crachait des cyclones dévastateurs. Il lançait des traînées de chance, des volutes d'espoir, des poignées de bonheur, inspirait le poète. Responsable du sablier de la vie, il était maître de la lumière qui apportait l’espoir dans les plis des aubes naissantes. Il décidait des chutes de pluie, de la foudre, du tonnerre. Il parcourait l’immensité des cieux s’étendant à l’infini en se laissant porter par des vents rapides et invisibles. Il était défendu par des aigles royaux commandés par Serre-d’Airain.

Le Dieux des Mers s’habillait de turquoise. Son royaume s’étendait dans les profondeurs des immensités sous-marines englobant toute la vie aquatique allant de la baleine à l’hippocampe, reliant le cap de Bonne-Espérance à l’Alaska. D'un froncement de sourcil, il pouvait démonter les flots, fussent ceux du plus grand océan, refouler rivières et fleuves se déversant dans son domaine. D'un coup de son trident, il renversait les navires les plus grands, les plus stables, les plus orgueilleux. Il décidait du flux et du reflux de ses eaux. Dans les profondeurs de son habitation, il jouait de l’orgue marine ou écoutait le chant des baleines. Ses eaux calmes reflétaient l'âme des poètes, ses flots fluides glissaient en direction du futur sans s'arrêter à aucun port, son eau allait rafraîchir le soleil, gonfler les nuages, servait à abreuver les animaux, arroser terres et plantes et à calmer les passions. Sa sécurité était assurée par de redoutables requins dont le chef se nommait Brise-Col.

Les Dieux se réunissant en un endroit ou la mer, la terre et le ciel se rejoignaient. En cet endroit idyllique, ils coordonnaient leurs actions, échangeaient des observations, parlaient des problèmes de leur royaume respectif, accordaient leur comportement, échafaudaient des plans. Deux fois par année, lors de la lune rousse, ils se rendaient au pied d’une montagne, montaient sur un nuage qui les élevait à un endroit que nul homme n’avait conquis ou pénétré. Là, ils rencontraient le Seigneur.

Au commencement de la vie du monde, le Seigneur leur enjoignit de prendre soin de l’homme, cette créature faible et désarmée vis-à-vis de la vie d’alors. Ils durent également faire prêter serment d’allégeance aux animaux à l’encontre de l’homme.

Au début, tout alla bien tant que l’homme respecta la nature et ses animaux. Par contre, tout se gâta lorsque, se trouvant supérieur aux bêtes, il les asservit, les maltraita ; en outre, il se mit à galvauder la terre qui le nourrissait, à empoisonner air et eau.

Le Seigneur, dans sa bonté, demanda toujours un sursis en arguant du fait qu’il y avait des hommes raisonnables et justes ; il espérait que les autres comprendraient...

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© Jean-Claude Grivel

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